Intervention de Marie France Beaufils, groupe CRC-SPG, dans la discussion générale :
L’objectif du gouvernement est la casse de nos institutions locales et de nos services publics locaux
Certes je ne doute pas que le gouvernement se serait bien passé de ce nouveau projet de loi sur la répartition des conseillers territoriaux.
Je pense même que s’il avait pu éviter de soumettre cette modification imposée par la décision du Conseil Constitutionnel au sénat, il n’aurait pas hésité un instant, tant il doit avoir en
mémoire les débats qui se sont déroulés dans notre hémicycle, à propos de la création de ce conseiller territorial.
Il doit se souvenir qu’il n’avait pas de majorité pour supprimer les conseillers généraux et régionaux et créer ces conseillers hybrides, à deux têtes, qui finiront par les perdre toutes les
deux, tant ils ne sauront vers quel horizon se tourner ou laisseront l’une d’entre elles s’atrophier au profit de celle qui embrassera la plus grande vision.
Ainsi, sans aucune révision constitutionnelle, les départements vont dépérir, s’évaporer, comme le préconisait la commission Balladur.
Ils deviendront les administrations déconcentrées des régions, grâce à la mise en place, dès 2014, des schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services, entre les
départements et la région.
La réforme de l’intercommunalité instituera également une nouvelle répartition des compétences et réduira les pouvoirs des départements. Les élus deviendront peu à peu de simples administrateurs,
exécutant des politiques publiques nationales de solidarité et des politiques régionales dans les domaines qui leurs seront dévolus.
D’ailleurs, avec la diminution de plus de 400 conseillers généraux siégeant dans les assemblées départementales, avec des réductions fortes de près de 50% dans certaines d’entre elles, les élus
départementaux ne disposeront plus des moyens nécessaires à la mise en œuvre des politiques publiques de proximité, au plus près des préoccupations de leurs concitoyens.
De plus, ces élus siégeant aussi à la région, ils ne disposeront plus du temps nécessaire à l’écoute et aux montages concertés des solutions à apporter aux besoins et aux attentes exprimés par
les habitants de leurs départements.
En éloignant les élus départementaux de leurs concitoyens, l’objectif affiché, par le gouvernement, est bien entendu de réduire les dépenses publiques, quitte à réduire la démocratie locale.
La proximité incite en effet les élus à mieux répondre aux besoins qui s’expriment. Il est bien sûr plus difficile de dire non, les yeux dans les yeux à des citoyens forts de leurs attentes et de
leurs arguments, que de leur répondre par l’intermédiaire d’un personnel territorial en charge d’assurer la mise en œuvre des politiques définies, et qui n’a pas le pouvoir de les amender et
encore moins d’y déroger.
Cette disparition progressive de nos départements ne va pas, pour autant, renforcer nos régions.
Leurs élus, ces futurs conseillers territoriaux, ne seront plus des élus régionaux, élus sur des programmes d’action de dimension régionale, mais des représentants de cantons.
L’article 5 de la loi de réforme des collectivités locales précise que le conseil régional est dorénavant composé, je cite « des conseillers territoriaux qui siègent dans les conseils
généraux des départements faisant partie de la région. ». C’est clair.
Ainsi nous revenons sur les lois de décentralisation de 1982 qui transformèrent nos régions en collectivités locales de plein exercice, alors qu’elles n’étaient que des établissements publics
gérées par des assemblées composés entre autre de représentants des départements.
Certes cet article prévoit encore que les régions soient administrées par un conseil régional élu au suffrage universel direct.
Mais le fait que ceux qui y siègeront représenteront dorénavant les départements, pose une réelle ambiguïté juridique entre les deux alinéas et fait peser un doute sur la compatibilité entre les
notions d’élus au suffrage universel direct et représentant des conseils généraux.
Pour lever cette ambiguïté il suffira alors de biffer le premier alinéa de l’article L 4131-1.
On le voit ainsi, la création de ce conseiller territorial et son mode d’élection est en fait une machine de guerre contre la décentralisation. Elle a pour vocation de réduire l’action des
départements, mais aussi de transformer nos assemblées régionales en réduisant leur représentation de la souveraineté populaire.
Ce faisant, si on ajoute à cela, l’encadrement des compétences des départements et des régions, leur spécialisation, et la suppression de leur compétence générale, on aboutit à la mise en place
d’établissements publics territoriaux, véritables administrations déconcentrées, gérées par des assemblées d’élus, certes, mais qui ne disposeront que du pouvoir de mettre en œuvre des politiques
décidées ailleurs.
Cette recentralisation autoritaire entraînera, de facto, un amoindrissement de la démocratie locale.
En effet, en supprimant l’élection à la proportionnelle pour les assemblées régionales, le pouvoir UMP, tente de réduire la présence des diverses sensibilités politiques existantes dans notre
pays, en opposition à sa politique, pour favoriser le pouvoir d’un homme et de son parti.
Il espère ainsi reprendre des directions régionales, que les citoyens lui ont retirées par leur vote.
De plus, chacun reconnaît que ce mode de scrutin est un puissant frein à la présence des femmes parmi les futurs élus.
Pour le Conseil Constitutionnel, rien dans cette loi n’interdit aux femmes de se présenter et d’être élues.
De ce fait, la lettre du deuxième alinéa de l’article 1er de la Constitution semblerait ne pas être remise en cause. Non… mais chacun sait qu’avec cette loi, le plafond de verre qui freine
l’accession des femmes à des postes de responsabilités électives sera renforcé.
Ne pas le reconnaître est hypocrite.
Ainsi, l’esprit de notre loi fondamentale est lui, sans contestation possible, largement ignoré.
Pour finir, permettez-moi de revenir sur le principal argument avancé, par le pouvoir, pour justifier la création de ce conseiller territorial.
Je veux parler bien entendu de cette billevesée, cette soi-disant baisse des dépenses annoncée grâce à la réduction du nombre d’élus.
Pour l’étude d’impact, la baisse ne serait que de 0,5% des dépenses de fonctionnement.
Ce serait alors ridicule.
Mais cette baisse relative cache en fait, une hausse considérable des coûts pour les régions, qui verront leur nombre d’élus doubler.
En effet, il y aura désormais, avec cette loi, 3 493 conseillers régionaux au lieu des 1 757 actuels.
Quand on sait qu’avec la réforme des finances locales les régions ne lèvent plus d’impôts, cette hausse aura des incidences non négligeables sur leur budget et par conséquent, sur leurs projets.
Mais l’étude d’impact manque de sérieux.
En effet, outre les frais d’investissement nécessaire pour construire les nouveaux hémicycles qui accueilleront les nouveaux élus, il faudra aussi d’autres locaux de réunion, d’accueil et de
bureaux.
Et encore ce ne sont là que des investissements.
Il y aura aussi de fortes hausses de frais de fonctionnement, dont l’étude d’impact ne parle pas : coût de secrétariat, de télécommunication et de déplacements, sans compter les défraiements
pour les suppléants, dont il a été question lors de nos débats sur la réforme des collectivités locales.
Il y a donc, a minima, mensonge par omission de la part du gouvernement sur le coût de cette réforme.
Aussi, après la volonté affichée de réduction du mille-feuilles institutionnel, sous-tendant artificiellement cette réforme, qui s’est finalement soldée par la création de nouvelles strates
institutionnelles, voici la recherche d’économie sur les dépenses d’élus, qui va se solder par des dépenses en hausse.
Ce faisant la preuve est faite que là n’était pas l’objectif de cette réforme.
L’objectif du gouvernement est clair. C’est la casse de nos institutions locales et de nos services publics locaux.
C’est la recentralisation entre les mains d’un seul homme et de son parti, la réduction de la dépense publique et l’ouverture au privé de nouveaux secteurs d’activité, la mise à mal de la
démocratie locale qui fonde pourtant notre République.
Aussi vous comprendrez pourquoi nous sommes vent debout contre cette réforme des collectivités locales et plus précisément contre ce texte qui fera disparaître les conseillers généraux et
régionaux.
En le rejetant, le Sénat rendrait possible une autre réforme.
Il n’y a aucune urgence à légiférer, encore moins en procédure accélérée.
Et si demain, en 2012, une autre majorité se rassemble à gauche, nous agirons pour l’abrogation pure et simple de l’ensemble de cette réforme destructrice de nos institutions locales et le
conseiller territorial disparaîtra avant même d’avoir vécu.