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Michel Barrionuevo -   Sassenage

Annie David: proposition de loi d'interdiction des licenciements boursiers

15 Février 2012, 15:43pm

Publié par Annie David et Dominique Watrin

annie-David-senat.jpgTous les parlementaires peuvent se faire l’écho sur leur territoire d’une entreprise qui ferme ou licencie alors qu’elle distribue d’importants dividendes aux actionnaires

Interdiction des licenciements boursiers Par Annie David 

Conférence de presse de présentation de la proposition de loi d’interdiction des licenciements boursiers.

En 2010, mon groupe et moi-même, déposions cette proposition, en réaction il faut l’avouer, à l’annonce faite par l’entreprise Total, de la suppression de quelques 555 emplois alors qu’elle venait d’annoncer avoir réalisé un bénéfice confortable de 14 milliards d’euros. Ce qui nous a particulièrement choqués, c’est que, de l’aveu même de la direction de cette entreprise, près de la moitié de ces gains allaient être reversés aux actionnaires.

Depuis, force est de constater que le nombre de licenciements boursiers s’est multiplié. Tous les parlementaires peuvent se faire l’écho sur leur territoire, d’une entreprise qui ferme ou licencie, alors qu’elle est rentable, mais surtout, et c’est cela le plus choquant, alors qu’elle distribue d’importants et confortables dividendes aux actionnaires.

Historiquement, les dividendes constituent une forme de rémunération à destination des actionnaires pour compenser le risque qu’ils ont pris en investissant dans une entreprise et dans un parcours industriel. Cela est de moins en moins vrai puisqu’en y regardant de plus près, on se rend compte que ce ne sont plus les actionnaires qui prennent les risques. Il y a eu un transfert de risque qui pèse aujourd’hui essentiellement sur les salariés.

Dominique Plihon - professeur d’économie financière à l’Université Paris XIII et par ailleurs président du conseil scientifique de l’association Attac – en a parfaitement fait la démonstration dans son ouvrage paru en 2001, intitulé « Le nouveau capitalisme ». Selon lui, analyse que nous partageons, la flexibilité du travail est une conséquence logique de la flexibilité plus grande du capital et conduit donc, mécaniquement à un transfert de risques sur les travailleurs. Puisqu’au final, en cas de difficulté, c’est toujours les salariés qui sont appelés à en payer les frais, soit par une précarisation de leurs conditions de travail, soit tout simplement, par le leur licenciement.

Or ces licenciements sont systématiquement présentés comme des licenciements pour motif économique. Les juges ne disposant pas légalement, de la possibilité de vérifier la réalité du caractère économique des licenciements. Ces derniers dissimulent donc souvent des licenciements boursiers au sens ou nous l’entendons. A savoir : des licenciements procédés alors que les entreprises en question distribuent des dividendes à leurs actionnaires.

Cette situation n’est supportable ni socialement, ni économiquement, ni humainement. Comment accepter aujourd’hui, alors que ce sont chaque jour plus de 1000 salariés nouveaux qui s’inscrivent à « Pôle-Emploi », que des salariés soient licenciés, dans le seul but de maintenir ou d’augmenter les rémunérations versées aux actionnaires ? Comment accepter que les pouvoirs publics financent, avec les prestations sociales et solidaires, des stratégies d’entreprises qui bénéficient à la minorité que constituent les actionnaires. Comment admettre que l’appétit des actionnaires puisse déboucher au final sur des destructions massives d’emplois, la disparition d’usines et de compétences ?

Au groupe CRC, nous ne le pouvons pas et nous tenons à réaffirmer que nous avons une toute autre conception de l’argent et de l’utilisation des richesses produites par les salariés.

Il s’agit clairement, et nous n’avons pas peur de le dire, d’inverser la logique actuelle qui veut que les salariés soient toujours les premiers sacrifiés. Si les entreprises disposent de suffisamment de ressources financières pour rémunérer le capital, alors il faut capter cet argent et le diriger en direction de l’investissement et du maintien de l’emploi.

C’est le sens de notre proposition de loi. Ne pouvant rester plus longtemps parmi vous, puisque je suis appelée à présider la commission des affaires sociales, je laisse la parole à mon collègue Dominique WATRIN, sénateur du Pas-de-Calais et par ailleurs rapporteur de celle-ci, pour qu’il vous la présente et réponde, le cas échéant, à vos questions.

 

Dominique Watrin:

Comme vous le savez, le Sénat examinera demain, dans le cadre de notre niche parlementaire, la proposition de loi déposée par le groupe CRC tendant à interdire les licenciements boursiers. Cette proposition de loi se compose de deux articles. Nous avons voulu un dispositif efficace et facile à mettre en œuvre, afin que les salariés soient protégés face aux abus de la finance.

Avant d’en venir au contenu de notre proposition, permettez-moi de dire quelques mots de contexte. Le chômage atteint des proportions dramatiques, on frôle les 10%, et se sont chaque jour 1000 nouveaux salariés qui sont privés d’emploi. Il est devenu usuel de dire que cette situation résulte de la crise, ce qui permet d’ailleurs d’éviter les questions pertinentes sur la responsabilité des employeurs, des actionnaires, mais également du Gouvernement.

Je note d’ailleurs que celui-ci profite de ce contexte, pour tenter une nouvelle fois d’opposer nos concitoyens entre eux. Avec d’une part les salariés et d’autre part, les privés d’emplois suspectés de se complaire dans leur situation et de rechigner à travailler et à se former. Nous contestons cette analyse qui n’a qu’une vocation : imposer des politiques de rigueur encore plus grandes, réduire les droits des salariés privés d’emploi et renforcer la précarité du travail pour la plus grande satisfaction du MEDEF.

Une nouvelle fois, le Gouvernement avance l’idée de « droits et devoirs », lesquels devraient toujours concerner les salariés et jamais leurs employeurs. Il n’hésite pas d’ailleurs à en appeler au peuple en envisageant la réalisation d’un référendum. Plutôt que de l’utiliser comme un outil de stigmatisation des salariés entre eux, nous faisons une autre proposition au Gouvernement, quitte à organiser un référendum, pourquoi ne pas soumettre notre proposition d’interdiction des licenciements boursiers ?

De la même manière qu’il revient toujours au peuple de supporter les politiques d’austérité, ce sont toujours les salariés qui sont sacrifiés, tantôt par le gouvernement, tantôt par les employeurs. Ainsi, lorsque la rentabilité d’une grande entreprise diminue, ou pire que le cours des actions ou les dividendes n’atteignent pas les montants escomptés, il arrive que les entreprises procèdent alors à des licenciements présentés pour motifs économiques, mais correspondant en fait à des licenciements boursiers. Autant dire que les salariés en sont réduits à n’être que des variables d’ajustements. Je vous rappelle d’ailleurs l’épisode récent de l’entreprise GEMALTO, (Loiret) qui procéda au licenciement de 362 employés, alors que le groupe réalisait 791 millions de chiffre d’affaires.

Une progression de plus de 30 millions par rapport à l’année précédente, où l’entreprise n’avait réalisé – si je puis dire - que 760 millions. Des licenciements très bien accueillis par les marchés et la presse économique puisque l’année qui suivit ces licenciements, la chaine « Business FM » décernait à cette société le prix de la meilleure performance boursière. En tant que Sénateur du Pas-de-Calais, je ne peux oublier non plus, les 2000 emplois rayés de la carte sur le secteur d’Henin- Beaumont suite à des décisions financières des actionnaires (Métaleurop, Samsonite, Sublistatic). Ce territoire est aujourd’hui dévasté avec près de 30% de chômeurs.

Je note d’ailleurs qu’il y a un certain paradoxe à prôner la production industrielle en France et à ne jamais s’opposer aux licenciements qui sont prononcés pour des motifs exclusivement financiers. Il faut protéger les salariés et remettre la finance à sa place, c’est-à-dire au service de l’économie réelle, et non de la spéculation. C’est à ce stade qu’intervient notre proposition de loi, une loi simple et efficace. Seront réputés sans cause réelle et sérieuse – donc interdits – les licenciements prononcés par des entreprises qui ont versé des dividendes au titre de l’année écoulée. Notre objectif est clair.

Si les entreprises ont besoin de se réorganiser, de se réorienter ou d’investir dans la recherche, ce ne sont pas aux salariés d’en subir les conséquences. C’est le rôle des actionnaires que de financer ces mesures, ils doivent donc être mis à contribution, avant que les salariés ne soient sacrifiés. Rien ne justifie en effet que l’emploi soit cassé, alors que dans le même temps, les actionnaires profitent des dividendes, lesquels peuvent d’ailleurs croitre du fait même de ces licenciements. Pour assurer la pleine application de ce principe, nous proposons de confier à l’inspection du travail cette mission de contrôle, le procès verbal établi par ses soins, pouvant servir d’élément de preuve devant le juge prud’homal.

Clairement, notre proposition de loi s’inscrit dans le débat engagé par le Gouvernement, sur la compétitivité et le coût du travail. Selon lui, ce serait les salaires et les cotisations sociales qui plomberaient la compétitivité des entreprises. Raison pour laquelle il serait alors légitime, en cas de crise économique, de supprimer des emplois. Telle n’est pas notre conviction. Pour nous, ce qui plombe la compétitivité, ce sont d’abord et avant tout les appétits des actionnaires. Preuve en est, si la valeur des actions du CAC 40 a fait un bon de plus de 13% entre 2009 et 2010, ce n’est pas le cas des salaires.

Nous proposons enfin – c’est le second article de notre proposition de loi – que les entreprises qui ont procédé à des licenciements boursiers soient contraintes de rembourser les aides publiques, sous toutes leurs formes (subventions, exonérations sociales et fiscale..). Les financements publics ne doivent en effet être accordés qu’à des entreprises dont la politique est conforme à l’intérêt social et au développement de l’emploi.

Voici les deux propositions contenues dans notre proposition de loi qui sera soumise au vote des sénatrices et sénateurs demain matin.

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