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Michel Barrionuevo -   Sassenage

La vie privée de nos concitoyens se trouve réduite à peau de chagrin

23 Juin 2015, 17:04pm

Publié par Cécile Cukierman

Renseignement : conclusions de la CMP
Par / 23 juin 2015

Le Parlement s’apprête à adopter définitivement la loi sur le renseignement d’une importance capitale, et, paradoxalement peu discutée.

La navette parlementaire, qui aurait peut-être laissé aux deux assemblées le temps nécessaire pour parvenir à un équilibre, délicat à trouver, entre sécurité et liberté, a été évincée par la procédure accélérée. Bien que l’urgence ne puisse justifier son adoption, car cette loi ne fait qu’inscrire dans le droit des pratiques existantes, mais illégales et qui ont montré leur inefficacité dans les dernières affaires terroristes.

Les modifications à la marge que la Commission des lois du Sénat a apportées au projet, n’en ont, hélas, pas modifié l’esprit. Je ne reviendrai pas sur le détail du texte : les motifs élargis justifiant la surveillance, la multiplication des techniques, le rôle accessoire de la prétendue Commission de contrôle, et les pleins pouvoirs à l’exécutif pour orchestrer cette surveillance de masse.

Mais je vous rappelle qu’en intégrant techniques de profilage et algorithmes de prédiction, le paradigme est désormais inversé en matière de surveillance sur notre territoire français : au lieu de partir de la cible pour trouver les données, on part des données pour trouver la cible.

C’est ainsi que la vie privée de nos concitoyens se trouve réduite à peau de chagrin. La possibilité même de lever l’anonymat des données montre que celles-ci sont bien identifiantes. Contrairement à ce qui est affirmé, il ne s’agit pas de débusquer des « intentions terroristes », mais alors quelle est la fonction de cette loi autorisant une collecte massive des données personnelles ?

Pour vous Monsieur le ministre (BC) : le droit à une vie privée n’est pas une liberté fondamentale, comme vous l’avez expliqué le 14 avril à l’Assemblée nationale. Le nécessaire consentement des populations à l’abolition de leurs libertés explique pourquoi celle-ci prend la forme du droit.

Vous vous posez ainsi, Monsieur le ministre, en défenseur d’une société panoptique dans laquelle chacun se sent contrôlé et se regarde être regardé. Ce projet n’est pas nouveau, il émerge déjà à la naissance du capitalisme et avait déjà été théorisé par Jeremy Bentham avec son modèle d’architecture carcérale appelé « Panopticon ».

Grâce à l’installation de boîtes noires, le principe de « voir sans être vu » est maintenant généralisé à l’ensemble de l’internet. Comme l’écrit le sociologue Jean-Claude Paye, auteur de L’Emprise de l’image :

« Bentham montre que la présence des yeux de l’autre n’est pas nécessaire à l’omniprésence du regard intérieur. En l’absence de perception, l’individu est réduit à se regarder être regardé. Le sujet est aboli et se confond avec l’objet-regard, avec le désir de l’Autre. Il devient l’objet de sa jouissance, ici objet de la toute-puissance de l’Etat. »

Partant de ce constat, permettez-nous, Monsieur le ministre, de douter de la sincérité de votre émotion quant à l’amendement du député Jean-Jacques Urvoas, déposé subrepticement en Commission mixte paritaire.

Se disant en quelque sorte frustré par le texte résultant des deux lectures – (d’autant que les députés ont accepté nombre de garanties exigées par le Sénat) - Monsieur Urvoas a fait adopter, mardi dernier, en CMP un amendement sorti tout droit du chapeau.

Il s’agit, avec cette disposition de dernière minute, de laisser les services de renseignement surveiller les étrangers de passage, certes après avis du premier ministre, mais sans contrôle de la future CNCTR. En clair, de poser un micro dans la chambre d’un diplomate, d’un chef d’Etat ou d’un journaliste, de glisser une balise sous sa voiture, de siphonner son disque dur ou d’épier discrètement ses conversations téléphoniques sans réel contrôle.

L’émulation gouvernement / parlementaires socialistes a été d’une rare efficacité avec l’ajout de cette mesure qui aggrave un peu plus, si besoin en était, le danger représenté par cette loi.

Une mesure que l’actuel président de la CNCIS, Jean-Marie Delarue, a vertement condamnée, dénonçant un alignement précis du texte sur la « conception américaine qui a permis aux agences d’accumuler sur ces étrangers les données massives que l’on connait » et qui malmène le principe constitutionnel d’égalité sur le sol français. L’appel du conseiller d’Etat à gommer cette disposition semble avoir été entendu.

On appréciera l’émotion quelque peu sélective du gouvernement face aux autres scénarios du projet de loi qui évincent tout autant l’avis préalable de la CNCTR : je pense aux mesures commandées par l’urgence, mais aussi et surtout aux mesures de surveillance à l’échelle internationale, qui pourraient tout autant viser des nationaux dès lors qu’ils échangent avec une personne en dehors de nos frontières ou même utilisent un service en ligne non national.

Bien évidemment, cela va sans dire, le terrorisme qui frappe notre monde aujourd’hui et les menaces réelles dont fait l’objet la France doivent être fermement combattus. Mais sûrement pas au détriment de notre démocratie et de nos libertés publiques, ce dont doivent se réjouir les terroristes en question que nous sommes censés profiler avec cette loi, et à qui on donne, en réalité, les clés pour mieux la contourner.

Comme la Cour européenne des droits de l’homme l’avait précisé dans l’ « affaire Klass » en 1978, nous sommes convaincus que « les Etats ne sauraient, au nom de la lutte contre le terrorisme, prendre n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée » risquant de « saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre ».

Enfin, vous l’aurez compris, tous les membres du groupe communiste, citoyen et républicain restent définitivement contre ce projet de loi relatif au renseignement.

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